Poya

Poya avec Wikipedia

La poya atteint des sommets

C’est Denis Buchs qui le dit: il n’y a jamais eu autant de poyas qu’aujourd’hui. Etrange, à une époque où il y a de moins en moins d’exploitations. Mais attention: il y a poya et poya. C’est ce qu’explique le Gruérien qui vient de publier un livre passionnant sur le sujet.

 

Une huile sur bois croisé de Francis Oberson (80 x 200 cm), réalisée en 2000

 

Un art populaire qui avance en zigzaguant. «La poya retrouve une deuxième vie», lance Denis Buchs. Conservateur au Musée gruérien – il y travaille depuis trente-quatre ans – le Bullois a rédigé un ouvrage très fouillé sur le sujet. Un livre qui fait la part belle à l’image avec une centaine de pages d’illustrations.

 

Vous dites que Sylvestre Pidoux est l’inventeur de la poya au début du XIXe siècle. Est-ce qu’elle est née comme cela, d’un coup?

Le terrain était préparé. A l’époque, il y avait surtout cette habitude de décorer le linteau des portes de grange. On pouvait y trouver une image du Christ au milieu, un cheval à gauche, une vache à droite, avec encore des fleurs et des armoiries ici ou là. Puis on passe à un seul sujet, à savoir la montée à l’alpage. Et cela, c’est à Sylvestre Pidoux qu’on le doit. Le genre ne va toutefois pas exploser d’un coup, puisque les poyas sont rares jusqu’aux alentours de 1890. La principale évolution qui suivra Sylvestre Pidoux sera la place accordée au paysage. Lui se contentait surtout de faire défiler le troupeau.

 

Vous vous demandez pourquoi c’est la montée à l’alpage qui s’est imposée, plutôt que la désalpe, pourtant beaucoup plus populaire. Votre avis?

Ça n’engage que moi, mais j’ai le sentiment que la désalpe se vit. C’est le moment où l’on fête la fin de la saison. Visuellement, cela donne une ligne qui descend, ce qui n’est pas très stimulant. On préfère montrer quelque chose qui monte. Dans une poya, on regarde vers le ciel, vers l’avenir. Et puis, si l’on fait bombance lors de la désalpe, on appréhende aussi l’hiver. A-t-on assez de foin pour tenir jusqu’au printemps? Il y a dans la montée à l’alpage l’idée de l’élévation, de ces hommes et de ces bêtes qui vont de l’avant. Et d’un point de vue économique, c’est là que se joue l’essentiel de la production annuelle.

 

Elle fait office d’enseigne. Quelles informations donnent-elles sur l’exploitation?

Une poya dit qu’on est éleveur, qu’on exploite des alpages, que l’on passe l’été dans tel ou tel chalet et que l’on possède telle race. Des agriculteurs tiennent aussi à mettre en évidence des vaches qui ont remporté un prix. Ce n’est jamais le reflet exact de la réalité, mais ça colle plus ou moins. En fait, certains clients commandent une œuvre avec ce souci de réalisme, tandis que d’autres laissent le peintre libre. On oscille toujours entre deux tendances: l’une qui recherche le réalisme, en personnalisant le troupeau, l’autre qui privilégie l’effet solennel, avec une représentation simplifiée et standardisée. Entre les deux, cela n’a jamais vraiment été tranché.

 

Dans les poyas, le troupeau a souvent de la peine à passer le contour. Les peintres ne savaient-ils pas le faire?

Il y a certainement de cela, même si quelques-uns faisaient très bien tourner le troupeau. Paul Yerly était par exemple réputé pour cela. D’autres sont très malins: ils dessinent un arbre pour cacher la vache qui se trouve dans le virage. Le coup du sapin est répandu. Ce n’est pas très important finalement. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que la poya se trouve à quatre mètres du sol et que c’est l’effet d’ensemble, frontal, qui prime. Dès lors, il n’y a bien souvent pas de perspective. La vache ne peut donc pas partir en profondeur.

 

Vous dites qu’il y a de plus en plus de poyas aujourd’hui, alors qu’il y a de moins en moins d’exploitations. Paradoxal, non?

Celle qui est destinée à orner une ferme perdure, mais elle est en diminution. En revanche, un autre type s’est développé. Depuis une quinzaine d’années, les poyas ont une deuxième vie. Elles sont récupérées dans la publicité, dans le dessin de presse et par des artistes qui n’ont rien à voir avec cela. En tapant «poya» sur Google, j’ai obtenu 476000 occurrences. Il s’agit le plus souvent d’une peinture de loisir, décorative, destinée à une clientèle urbaine, généralement sous forme de petits tableaux d’intérieur. En Savoie, on assiste à une profusion de peintres, alors qu’il n’y avait aucune tradition de poyas là-bas. On peut même y faire des stages «poya» de trois jours. En fait, il a fallu qu’elle fasse son coming-out...

 

Justement, comment expliquez-vous ce retour au premier plan?

Cela va probablement de pair avec le succès des désalpes. Les gens sont prêts à passer des heures dans les embouteillages pour y assister. Les paysans sont flattés du monde qui vient les voir, mais ça les fait parfois aussi tiquer. Je me souviens que certains d’entre eux avaient refusé de participer à une édition en raison d’un problème, me semble-t-il, d’une baisse du prix du lait. Ils disaient qu’ils voulaient être soutenus durant toute l’année et pas seulement lors du dernier samedi de septembre. Ils se sentaient juste bons pour le folklore. D’autre part, on assiste, depuis une vingtaine d’années, à une mode de la vache, comme il y a eu une mode des dinosaures auparavant.

 

Selon vous, la poya a eu une reconnaissance tar-dive. Pourquoi?

La peinture suisse-orientale, qui a des similitudes avec la poya telle qu’on la connaît ici, a été repérée et collectionnée à la fin du XIXe siècle déjà, on n’y a longtemps pas prêté attention chez nous. C’est curieux, car il suffit de se promener dans la campagne pour découvrir la plus grande galerie de peinture du monde. Ce qui a contribué à la faire connaître, c’est certainement la Fête de la poya, les deux livres que lui a consacré Alain Glauser ainsi que l’exposition que nous avions mise sur pied au Musée gruérien en 1981. Maintenant, les gens prennent ce qu’ils veulent de la poya et c’est peut-être tant mieux comme cela.

 

Comment interprétez-vous ce phénomène?

Il y a peut-être une nostalgie – qu’on n’aime pas avouer – de ce monde rural, de cette Suisse peuple de bergers. Pourquoi les gens ne prennent-ils pas un autre sujet que la montée à l’alpage? Pourquoi cet encolonnement avec ces zigzags leur donne envie d’en faire des représentations? C’est qu’il y a quelque chose de simple et rudimentaire. Ça renvoie à des réflexes premiers. Comme pour les premières poyas de Sylvestre Pidoux en fait.

Denis Buchs, Les poyas, Ides et Calendes